Les quatre vérités des nobles (1/4)
Enseignement de Khenpo Chödrak Rinpoché à Dhagpo Bordeaux en juin 2019. Traduit par Peïo.
Khenpo Chödrak Rinpoché
Notes préliminaires
Cet enseignement sur les quatre vérités des nobles a été donné sur une journée par khenpo Chödrak Rinpoché à Dhagpo Bordeaux. Le temps limité pour un sujet aussi vaste a amené le khenpo à aller à l’essentiel. Il nous a donné les points clés de la voie bouddhiste, mais il s’agit de bien décrypter les instructions, car parfois quelques mots ont suffi pour décrire un processus profond et intime. Par exemple, la souffrance est décrite comme une absence de choix possible dans notre expérience humaine, les causes de la souffrance sont identifiées en nous et non dans le circonstances extérieures, l’esprit est montré dans sa dimension d’instantanéité et donc de continuum, le chemin est présenté du point de vue des différentes motivations possible, la méditation est posée dans le contexte de la libération, le karma est dépeint de manière à éviter le sentiment de culpabilité. Bref, beaucoup de portes sont ouvertes, à nous d’avoir la curiosité d’aller au-delà de ces intrusions concises et de ne pas nous limiter à une compréhension première.
Le texte qui est livré ici est le fruit d’une traduction orale et immédiate. Nous avons fait le choix de garder cet aspect oral de l’enseignement en partant de la traduction assurée par Peyo. Nous nous sommes limités à supprimer les répétitions et à revoir la structure de certaines phrases. Pour le reste, nous vous livrons l’enseignement tel qu’il a été donné et traduit du tibétain en français afin de garder la dimension vivante et la fraicheur de ce moment inspirant pour les auditeurs présents.
Bonne lecture à tous.
Le comité de relecture de Dhagpo Bordeaux
Le Bouddha et son enseignement
Afin de recevoir et écouter les enseignements, il nous faut réunir les conditions favorables comme le fait d’avoir un lieu comme celui-ci. C’est grâce à tous ceux qui ont participé à l’élaboration de ce lieu que les conditions harmonieuses sont rassemblées et que la transmission de l’enseignement et sa mise en pratique peuvent prendre place. Parmi les nombreuses conditions, il a également fallu rassembler les richesses nécessaires et tout ce qui a été donné pour construire et aménager le lieu. De tout ce qui a été rassemblé, il n’est pas une seule chose qui ne soit fructueuse ou que l’on ne peut utiliser. Tout cela fait partie de ce que l’on appelle l’accumulation d’activité bénéfique.
Pour nous qui suivons l’enseignement du Bouddha, nous pouvons nous rappeler que l’enseignement est possible parce que le Bouddha a pris naissance il y a deux mille cinq cents ans en Inde, que sur cette base il a pratiqué le Dharma, et que grâce à cette pratique il en a obtenu le fruit. À partir de là, il a voyagé en de nombreux endroits de l’Inde pour dispenser son enseignement. Cet enseignement s’est déployé dans toute l’Inde, mais nous pouvons remarquer que les enseignements du Bouddha et les textes qui en sont issus ne se sont pas limités à ce pays : bien au contraire, il y a eu un déploiement de l’enseignement qui a dépassé les frontières indiennes pour se répandre en de nombreux pays dans le monde. Il s’est notamment implanté au Tibet avec une grande force. Le Dharma s’est répandu selon deux approches : le véhicule fondamental et le grand véhicule (mahayana). Ce dernier se divise en deux chemins : l’approche mahayana générale et le vajrayana. Quelle que soit l’approche, le but unique de la tradition du Bouddha est de se libérer de la souffrance, tant à un niveau relatif qu’au niveau ultime. Bien que l’objectif recherché soit le même pour les différents véhicules, les méthodes pratiquées pour y arriver sont différentes. De la même manière que moi, si je suis malade, je peux utiliser l’une ou l’autre méthode pour me guérir, je peux utiliser la médecine homéopathique, allopathique, ayurvédique, etc. Mais quel que soit le remède que j’utilise, le but recherché est identique : la guérison. Quel que soit le médecin qui est là pour guérir la maladie, quelle que soit la technique qu’il utilise, l’objectif reste de recouvrer la santé. Les noms changent, mais le fruit recherché est le même.
L’enseignement qui porte sur les quatre vérités comporte deux termes en tibétain : denpa et chi. Le premier aspect, denpa signifie vérité et souligne l’absence de mensonge, c’est ce qui ne trompe pas et en ce sens, cela révèle la vérité. Chi signifie quatre ; ces vérités sont ici au nombre de quatre.
Si nous nous posons la question de ce que sont ces quatre vérités et comment elles ont été présentées, la réponse serait que la première vérité répond à la question «Qu’est-ce que la souffrance ?».
Qui a énoncé cet enseignement ? C’est donc le Bouddha Sakyamouni. C’est une fois que le Bouddha a atteint la pleine réalisation qu’il a d’abord enseigné ces quatre vérités des Nobles. C’est son premier enseignement. Où a-t-il enseigné cela ? Il a enseigné cela à Sarnath. Et qui était l’auditoire, ces premiers disciples ? Ceux que l’on appelle les cinq disciples principaux. Le principal de ces disciples était Atshang, le frère de la mère du Bouddha.
Le Bouddha, avant qu’il obtienne la réalisation, vivait dans un royaume. C’est à la suite de sa perception des différentes souffrances de ce monde qu’il a souhaité se libérer. Il a voulu quitter ce royaume et abandonner sa position royale. C’est en prenant conscience et en contemplant les quatre types de souffrances : les souffrances de la naissance, les souffrances de la maladie, les souffrances du vieillissement et les souffrances de la mort, qu’est né en lui le souhait de la libération. C’est alors qu’il a abandonné son royaume pour vivre une vie d’austérité, à l’image des sadhus de son époque appelés les renonçants. Il a donc vécu sans biens, dans la région du Magadha. Il n’avait pas de maison ni aucune possession, il n’avait besoin de rien. Il a vécu ainsi de nombreuses années. Son père, conscient de son état, envoyait des gens pour lui venir en aide et l’aider dans les tâches quotidiennes. Mais il refusait et repoussait toute aide. C’est alors que son oncle, qui plus tard deviendra son disciple principal, est venu pour l’aider. Tout cela s’est passé avant que le Bouddha ne réalise l’éveil. C’est plus tard, alors que l’oncle accompagné par d’autres était à Sarnath, que le Bouddha, après avoir réalisé l’éveil, leur a enseigné les quatre vérités des Nobles.
La vérité de la souffrance
Les premiers mots prononcés par le Bouddha concernent la souffrance. Que signifie le terme souffrance dans le cadre de cette première vérité des êtres nobles? En tibétain, il se divise en deux termes : dhuk et ngel. Dhuk signifie être confronté à ce que l’on ne souhaite pas. Cela veut dire que l’on est constamment tourmenté par le fait d’être dans cette souffrance, cette frustration.
Quel que soit le type de naissance que nous avons pris, que ce soit en tant qu’humain ou en tant qu’animal, si nous observons ce qui se passe, nous n’avons pas de liberté au sein de ces existences. Nous avons pris naissance sans réelle liberté. Nous sommes apparus sur la base d’un père et d’une mère qui eux-mêmes nous ont donné naissance sur la base du karma. Nous avons pris naissance sur la base de la force des actes, sans liberté.
Une fois que nous avons pris naissance, de fait, nous vieillissons. Ce processus de naissance qui entraine le vieillissement ne nous laisse pas le choix, nous n’avons pas le choix de faire autre chose que de vieillir. Il nous faudra tôt ou tard faire le constat de notre vieillesse et faire face aux souffrances qui y sont liées. Lorsque l’on parle de la vérité de la souffrance, c’est de ce type de vérité là dont il s’agit.
Nous n’avons pas le choix de faire autre chose que de vieillir
Ayant pris naissance, cela entraîne naturellement le vieillissement qui tôt ou tard amène à la mort pour, à un moment donné, reprendre naissance. C’est sur la base du karma, sur la base des actes, que cela se produit encore et encore.
De la même manière, il est possible que nous tombions malades. Personne n’aime tomber malade, ce n’est pas quelque chose que nous apprécions. Néanmoins, personne n’a réellement le choix et personne ne décide de tomber malade. C’est parce que nous avons pris un corps que la maladie est possible. Ce corps, composé des cinq agrégats est la base de la maladie. Il nous faut enfin faire le constat que tous, nous n’avons pas d’autre choix que de mourir. Le fait que nous allons mourir est une certitude. Il n’y a pas une personne qui peut prétendre ne pas mourir un jour.
La naissance est productrice de souffrance, nous pourrions dire qu’elle est souffrance. La maladie est souffrance, c’est un fait. La mort est également souffrance. Que nous ayons comme destinée de naissance une existence humaine ou animale ou quel que soit notre type d’existence, ces quatre types de souffrance nous touchent. C’est pour cela que c’est appelé vérité. Dans ce monde nous avons obtenu un corps et du fait d’avoir obtenu ce corps, la souffrance y est associée. Lorsque nous parlons de souffrance, cela signifie les quatre souffrances que nous venons d’expliquer. Sur la base des souffrances des vies passées, nous avons obtenu cette vie. Et dans cette vie même, les souffrances ont provoqué des actes erronés. Sur la base de ces comportements erronés, nous avons engendré d’autres souffrances.
Les souffrances que nous vivons sont multiples. Elles apparaissent à partir de nous-mêmes sur la base des actes erronés du corps et de l’esprit. C’est ainsi que la souffrance est générée. Et c’est ce qui est signifié quand nous parlons de vérité.
Prenons les trois types de médecins cités précédemment : l’homéopathe, l’allopathe et le médecin ayurvédique. Le médecin, quelle que soit sa spécialité, se doit de connaître la maladie. Cela fait partie de son domaine de connaissances et c’est grâce à ces connaissances qu’il pourra y remédier. De la même manière, dans les différents véhicules bouddhistes, le véhicule fondamental, le grand véhicule ou le vajrayana, il est important de connaître ce qui est à guérir. Ce quoi est à guérir est la première des quatre vérités des êtres nobles, communes à tous, la souffrance. Quelle que soit la tradition que nous suivons, du véhicule fondamental, du grand véhicule ou du vajrayana, il faut se souvenir que c’est pour mettre fin à la souffrance que ces traditions sont enseignées.
L’impermanence
Dans le monde, en règle générale, les gens recherchent et manifestent leur envie de liberté. Tout le monde souhaite être libre. Nous allons même parfois jusqu’à crier notre souhait de liberté, mais, si on analyse, si on regarde dans le détail, nous pouvons nous apercevoir qu’au bout du compte, nous n’avons par exemple aucune liberté sur le fait que les choses sont impermanentes et qu’il nous faudra mourir. Quand nous parlons de souffrances, nous voyons que nous n’en sommes pas libres.
Lorsque nous pensons à l’impermanence, en règle générale, nous y pensons d’abord de manière grossière. La première approche se fait sur l’aspect visible de l’impermanence. On se rend compte, par exemple, que c’était l’hiver il y a un certain temps et que, maintenant, c’est déjà l’été. Il est bon ensuite de réfléchir à l’impermanence dans son aspect plus subtil, en regardant du point de vue de notre existence humaine. Par exemple, en considérant le temps écoulé depuis ce matin jusqu’à maintenant : combien de temps s’est-il passé ? Dans ce temps-là, combien d’heures, de minutes ou de secondes se sont-elles écoulées ? En réfléchissant de la sorte, nous nous rappelons qu’à chaque seconde qui passe, nous vieillissons. Il s’agit de réfléchir à l’impermanence subtile en termes d’instants, de transformation instantanée, en se rappelant que le changement s’effectue instant après instant. Instant après instant, nous nous transformons et nous nous rapprochons toujours plus de la mort. C’est ainsi que le Bouddha s’est exprimé. La souffrance est enseignée ainsi, nous montrant que personne ne souhaite cette souffrance. Ne souhaitant pas souffrir, nous voulons tous trouver des moyens pour guérir de cette souffrance. C’est sur ce constat que le Bouddha a énoncé la deuxième des quatre vérités des nobles.
Instant après instant, nous nous transformons
Continuons avec l’exemple de la maladie et du malade. Il est important d’avoir une bonne connaissance de la maladie pour établir un bon diagnostic. Nous allons ensuite essayer d’identifier la cause de la maladie. Et quand nous avons déterminé la cause, nous savons que pour guérir cette maladie, il faut supprimer cette cause. Si, par exemple, je suis atteint d’un cancer, je vais à l’hôpital où le diagnostic est posé. Comme il n’y a pas de doute quant au diagnostic, il est évident, suite à cela, que je dois être opéré. Et quand on me dit que je dois être opéré, je suis content de pouvoir l’être même si l’opération, en tant que telle, est une chose qui peut être désagréable ou douloureuse. Je suis content malgré tout. Pour quelle raison cela advient-il dans mon esprit ? Parce que je suis conscient de ce que j’expérimente et que je souhaite continuer à vivre. Et cette opération, bien qu’elle puisse entraîner des difficultés, va me donner la possibilité de continuer. Dans un chant sur la mort, Milarépa exprime sa peur et dit : « J’ai peur de la mort, la mort n’est que l’impermanence, je vais donc méditer sur cette notion d’impermanence». En méditant ainsi, il est arrivé à avoir une compréhension de ce qu’était la vacuité et est finalement arrivé à la conclusion de l’absence de mort.
Sommaire
Episode 1 : Le Bouddha et son enseignement – La vérité de la souffrance – L’impermanence
Episode 2 : L’origine de la souffrance – Question-réponses
Episode 3 : La vérité de la cessation – La vérité du chemin
Episode 4 : La vérité du chemin (suite…) – Questions-réponses – Conclusion