Les supports de libération – Bouddha, dharma et sangha (3/3)

Le sangha

Enseignement de Dongsung Shabdrung Rinpoché à Dhagpo Bordeaux en octobre 2018. Traduit par Julie.

Dongsung Shabdrung Rinpoché

Le sangha

L’histoire d’une communauté

Le sangha, d’un point de vue historique, fait référence à la première communauté du Bouddha, ses cinq premiers disciples : on les appelle l’assemblée des cinq excellents. Ce sont eux qui ont entendu le premier enseignement du Bouddha à Sarnath. On considère que ce sont ces cinq individus qui constituent le premier sangha, ou la première communauté. Lors de ce premier enseignement, n’étaient présents que des auditeurs ou sravakas, des pratiquants du véhicule fondamental. Ensuite, lors du deuxième tour de roue, au pic des Vautours, lorsque le Bouddha a enseigné pour la deuxième fois, le sangha présent était composé autant d’auditeurs et de bouddhas par soi que de bodhisattvas, les trois types de sangha. Le Bouddha a alors enseigné le tour de roue de l’absence de caractéristiques appelé la Prajnaparamita. Chacun comprenait selon ses capacités et ses modes de pensée. Les auditeurs comprenaient en lien avec le véhicule fondamental, tout comme les bouddhas par soi. Les bodhisattvas eux, avaient accès au sens complet de l’enseignement. Ainsi, chacun pouvait retirer ce dont il avait besoin de cet enseignement.

La parole du Bouddha était dotée de ce que l’on appelle les soixante qualités. Par exemple, si l’on se tenait proche ou éloigné du Bouddha, on entendait ce qu’il enseignait de la même manière. Ou encore, chacun entendait ce qu’il avait besoin d’entendre pour continuer son chemin en fonction de ses capacités. Ou encore, quand le Bouddha parlait dans une langue, tous ceux qui étaient présents comprenaient dans sa propre langue ce que le Bouddha disait. Il n’y avait pas besoin de traducteur ! Pour cette raison, parfois il y avait des conflits. Les auditeurs avaient l’impression d’avoir entendu un enseignement du véhicule fondamental alors que les bodhisattvas avaient entendu des enseignements du grand véhicule. Chacun avait reçu ce dont il avait besoin, mais lorsqu’ils communiquaient les uns avec les autres, ils n’étaient pas d’accord sur ce qu’ils avaient reçu. Cela pouvait créer des différends.

Le terme sangha est un mot sanskrit qui s’explique de différentes manières. Selon le point de vue de l’Abhidharmakosa et du Vinaya, une assemblée est un sangha quand sont présents quatre moines pleinement ordonnés. Donc à partir du moment où dans l’assemblée il y a quatre moines pleinement ordonnés, alors cette assemblée est appelée le sangha. Cela signifie que le sangha se limite aux moines. Aujourd’hui, on utilise le terme sangha un peu à tort et à travers. Ici nous en avons une définition précise. Le sangha, qui est traduit souvent par assemblée, a le sens d’assemblée de moines.

Du point de vue du grand véhicule, on ne parle pas d’une assemblée de quatre moines, mais du rassemblement de qualités. Et il peut il y avoir un rassemblement de qualités dans une seule personne. Donc une seule personne peut former le sangha, du point de vue du mahayana, il s’agit alors d’une personne noble.

Puisqu’aujourd’hui on utilise le mot sangha sans en connaitre le sens précis, on pourrait se méprendre quand on parle du sangha en tant qu’objet de refuge. Si notre compréhension du sangha reste générale, c’est-à-dire désigner comme sangha quelques pratiquants qui se réunissent, on pourrait se méprendre et en affaiblir le sens.

Les huit qualités des êtres nobles

Du point de vue du mahayana, le sangha est une assemblée d’êtres nobles. Leurs qualités sont au nombre de huit.

1. Les êtres nobles perçoivent directement le véritable mode d’être des phénomènes, ils sont dotés de ce qui est appelé la sagesse qui connaît les phénomènes dans leur véritable nature.
2. Ils connaissent également les phénomènes dans leur diversité. Ils ont la capacité de voir directement la nature de bouddha en tous les êtres.
3. Ils ont reconnu la nature auto-connaissante de leur sagesse.
4. Ils sont dépourvus d’attachement.
5. Leur sagesse est ininterrompue. Donc la manière dont ils perçoivent les phénomènes, que ce soit dans leur diversité ou dans leur véritable nature est continue.
6. Ils sont libres des voiles, libres des obscurcissements.

La septième et la huitième qualités sont une manière de catégoriser les six premières :
7. les trois premières qualités concernent la sagesse, la connaissance.
8. Les qualités de 3 à 6 concernent l’aspect de libération, elles font référence au fait d’être libéré des obscurcissements.

Ces huit qualités caractérisent le sangha en tant qu’objet de refuge.

Nous pouvons bien sûr utiliser le terme de sangha pour désigner un groupe de pratiquants, mais quand on parle du sangha en tant qu’objet de refuge, il nous faut bien garder à l’esprit qu’il s’agit des êtres nobles qui possèdent ces huit qualités. L’essentiel est de bien faire la distinction entre les deux, parce que sinon cela peut être la cause de confusion, d’abord en nous, ensuite avec ceux avec qui nous communiquons. Et selon l’Uttaratantra shastra, le refuge ultime c’est le dharmakaya.

J’ai donné une explication brève de ce que sont les trois lieux de refuge appelés les rares et suprêmes, le Bouddha, le dharma et le sangha. Mais dans le contexte du Vajrayana, le véhicule du mantra secret, on parle également d’un autre lieu de refuge qui est le lama, et d’ailleurs on place le lama avant ces trois lieux de refuge. On prend d’abord refuge dans le lama, puis dans les trois Joyaux. Pourquoi place-t-on le lama avant les trois Joyaux ? Parce que le lama incarne l’activité des bouddhas dans le sens où il est celui qui accomplit le bien des êtres. L’autre raison est que le lama est celui qui fait preuve d’une extrême bonté avec nous, parce qu’il nous transmet le dharma et nous aide sur le chemin. Cette bonté et cette compassion dont il fait preuve nous inspire un respect supérieur, c’est pourquoi le lama est placé en premier.

Les rares et suprêmes

En français, on parle des trois Joyaux mais en tibétain il est question des trois rares et suprêmes. Pourquoi rare ? Il ne suffit pas de le dire car les cornes d’un lapin sont quelque chose de rare également et cela n’a pas grand intérêt. C’est pourquoi on rajoute le deuxième terme, suprême. Ils sont rares mais ils sont aussi suprêmes (alors que les cornes d’un lapin ne le sont pas). Ces deux qualificatifs sont utilisés parce que ce sont les deux premiers des six termes qui définissent traditionnellement un joyau. Le Bouddha, le dharma et le sangha sont comparés à un joyau, mais pas à n’importe quel joyau ; il s’agit du Joyau qui exauce les souhaits dotés des six qualités :

1. Il est rare dans le sens où il est difficile à trouver, et de la même manière, les trois Joyaux sont difficiles à rencontrer.

2. Il est pur, libre de souillures. Il s’agit d’un joyau magnifique qui brille, qui n’est souillé par rien. De la même manière, les trois Joyaux sont libres de souillures comme les afflictions par exemple.

3. Il exauce les souhaits, c’est-à-dire qu’il a la capacité de produire tout ce que l’on désire. De la même manière, les trois Joyaux ont cette capacité de nous procurer ce dont on a besoin pour aller jusqu’à l’éveil.

4. Il est très beau, on peut s’en servir d’ornement. De la même manière, quand le Bouddha, le dharma, le sangha sont présents, cela magnifie la situation et l’expérience que nous en avons.

5. Il est supérieur aux joyaux ordinaires : il est plus beau, il a plus de capacités, il est plus gros, etc. il est donc supérieur en termes de valeur, de capacité, par rapport à un joyau ordinaire. Et de la même manière, les trois Joyaux sont supérieurs et notamment le dharma du Bouddha est supérieur aux dharmas mondains.

6. La dernière qualité est sans doute la plus importante, c’est l’aspect de fiabilité. Lorsque nous utilisons le Joyau qui exauce les souhaits, il nous donne ce dont nous avons besoin. Si ensuite nous le rangeons dans son coffre, ou si nous le perdons quelque part dans le jardin, et que nous le retrouvons à nouveau la semaine d’après, il fonctionnera encore, il exaucera à nouveau nos souhaits. On a beau en faire ce qu’on veut, il est fiable. Il en va de même pour les trois Joyaux ; que nous prenions un jour refuge en eux et pas le lendemain, et à nouveau un autre jour, cela ne change rien aux trois Joyaux. Ils sont libres de biais, ils n’attendent pas de nous qu’on les loue ou qu’on leur fasse des offrandes pour nous aider. Ils nous aident quoi que nous fassions, ils sont toujours là pour nous protéger, pour nous apporter ce dont nous avons besoin, pour nous aider à avancer sur le chemin. Ils sont donc complètement fiables.

C’étaient les raisons qui expliquent pourquoi on appelle les trois Joyaux plus précisément les trois rares et suprêmes.

Questions – réponses :

Étudiant: J’ai du mal à faire la différence entre les qualités du sangha et celles du Bouddha. C’est tellement proche que je n’arrive pas réellement à me dire pourquoi est-ce qu’on les distingue ?

Rinpoché: La question est compréhensible car il y a une grande similarité entre les qualités du Bouddha et les qualités du sangha. La différence c’est que les qualités du Bouddha qui ont été énoncées sont complètes alors que les qualités du sangha, elles, ne le sont pas encore.

Prenons l’exemple de la tasse d’eau devant moi : je n’ai pas tout bu mais je peux dire que j’ai bu une partie de l’eau. Le principe est le même pour les bodhisattvas. L’assemblée des bodhisattvas qui forment le sangha en tant que refuge a bu quelques gorgées de l’eau de la tasse alors que le Bouddha, lui, a bu toute l’eau. Ce que les bodhisattvas ont bu de la tasse laisse une absence d’eau. Cette absence est comparée à la cessation. Ils ont abandonné une partie de l’eau, la partie qui est bue. Mais il leur en reste encore à boire. Pour continuer la métaphore, l’espace sans eau qui est apparu, on ne peut pas dire qu’il soit le résultat du fait d’avoir bu l’eau. Cet espace n’est pas conditionné, de la même manière que la vérité de la cessation n’est pas conditionnée.

Étudiant: Dans la description de la vérité de la cessation, la deuxième qualité était : la cessation n’est pas les deux, elle est libre des deux voiles des afflictions et du karma. Ma question est : est-ce que la cessation est libre du voile afflictif ou du voile cognitif ?

Rinpoché: Si nous considérons que nous sommes une tasse pleine d’eau, le voile du karma et celui des afflictions est l’eau qui se trouve dans la partie supérieure de la tasse, et le voile de la connaissance dans la partie inférieure de la tasse. Plus on boit d’eau, plus l’espace grandit, plus on dissipe les voiles, plus il y a de cessation. L’espace qui apparait dans la partie supérieure de la tasse quand nous buvons l’eau représente l’abandon des voiles des afflictions et du karma. On peut les appeler ici les voiles supérieurs, ceux que nous abandonnons d’abord. Il nous faut d’abord vider l’eau du haut de la tasse pour arriver à vider celle du fond de la tasse. Donc la cessation sera complète une fois abandonné le voile de la connaissance. C’est un processus progressif. Au final la vérité de la cessation est libre de tous les voiles.

Étudiant: Vous nous avez dit que l’interdépendance c’était très beau, et que ça touchait le relatif et l’ultime. Qu’est-ce que vous vouliez dire ? Il n’y a qu’une seule réalité ?

Rinpoché: Ce que j’ai voulu dire, c’est qu’à travers cette notion d’interdépendance on peut expliquer à la fois la réalité relative et la réalité ultime. Ces deux réalités, relative et ultime, sont finalement inséparables. Elles ne sont pas deux réalités différentes. Quand on parle de la réalité relative, on parle de la réalité de surface, des apparences. Si on regarde les choses comme elles apparaissent, c’est la réalité relative. Et si on creuse et que l’on porte un regard plus profond, si on essaie de voir l’essence des phénomènes, alors là on parle de la réalité ultime. Mais ces deux réalités sont inséparables. Parce que les phénomènes sont interdépendants, on peut tous les percevoir mais on peut dire aussi que parce qu’ils sont interdépendants, ils n’existent pas véritablement. Donc avec cette notion d’interdépendance, on peut expliquer à la fois pourquoi les phénomènes apparaissent et pourquoi ils n’existent pas véritablement.

J’espère que ce que je vous ai dit pendant cet enseignement vous a permis d’aborder la compréhension des trois Joyaux, d’avoir une idée tant historique que philosophique du sujet. La plupart du temps, on a envie d’entendre ce qui nous convient et si je n’enseignais que ce que vous avez envie d’entendre, cela resterait limité. Nous resterions peut-être dans quelque chose d’agréable mais ce n’est pas mon but. C’est la raison pour laquelle j’ai abordé à la fois l’aspect historique et l’aspect philosophique. J’espère que cela vous a aidé.

S’il y a bien une chose dont je suis sûr, c’est que ce dont j’ai parlé est issu du dharma et le dharma est par nature aidant. Mais vous ne pourrez en avoir un bienfait que si vous le mettez en pratique. Si on ne fait qu’étudier, prendre les informations sans les appliquer, sans vraiment les relier à nous-mêmes, alors rien ne se passe. Si les instructions sont mises en œuvre, si on prend le temps de s’approprier les informations, nous verrons que le dharma a vraiment un effet et qu’il est réellement connecté à ce que l’on vit. C’est la requête que je vous fais maintenant, quoique vous ayez compris, quoique vous ayez pu saisir pendant cet enseignement, essayez de l’expérimenter, essayez de le mettre en pratique. Merci à tous.

Dongsung Shabdrung Rinpoché

Sommaire

Le Bouddha : L’histoire de vies du Bouddha – Le Bouddha Sakyamuni, un révolutionnaire – Les trois corps du Bouddha – Les huit qualités du Bouddha – Questions/réponses.

Le Dharma : Le courage de l’ouverture – Une approche historique du dharma – Sortir de nos limitations – Questions/réponses – Le dharma en tant que refuge – Les huit qualités de la vérité de la cessation.

Le Sangha : L’histoire d’une communauté – Les huit qualités des êtres nobles – Les rares et suprêmes – Questions/réponses.