Les quatre vérités des nobles (2/4)
Enseignement de Khenpo Chödrak Rinpoché à Dhagpo Bordeaux en juin 2019. Traduit par Peïo.
Khenpo Chödrak Rinpoché
L’origine de la souffrance
Dans la deuxième vérité des êtres nobles, le Bouddha s’exprime sur l’origine, la racine de la souffrance. Il donne une réponse à cette question-là. En tibétain, le terme employé pour origine est kunjung: kun signifie tout et jung ce qui est à l’origine, à l’origine des quatre types de souffrances qui peuvent être expérimentées. Quand on considère l’ensemble de ces éléments, on se rend compte que toutes les souffrances expérimentées par le corps comme par l’esprit ont pour source les afflictions ou les perturbations mentales et les actes, le karma. C’est sur ce constat que se fonde la deuxième vérité, la vérité de l’origine.
Lorsque nous parlons des perturbations mentales ou des afflictions, de quoi parlons-nous ? Il s’agit des pensées discursives de désir, celles de l’aversion, celles également basées sur l’orgueil, ou encore sur le doute. Toutes ces pensées discursives proviennent de l’ignorance.
L’ignorance, en tibétain, se dit marigpa; le premier terme ma est une négation. Il y a une situation qui n’est pas perçue. Nous pouvons alors nous demander une négation de quoi ? Qu’est-ce qui n’est pas vu ? Ce qui n’est pas perçu, c’est l’absence de soi. Ce qui, par contre est vu et expérimenté est le soi. Nous percevons un soi, parce qu’il n’y a pas de pratique basée sur la compréhension de l’absence d’essence, sur la compréhension de la vacuité. Sur la base de cette mécompréhension, nous pensons en termes de soi.
Marigpa, l’absence de connaissance ou de compréhension, est une pensée discursive extrêmement subtile. Il y a une pensée subtile qui considère le soi comme étant existant ; nous y croyons, pourrait-on dire. Il y a une croyance subtile en le soi comme étant réellement existant. De quelle manière ce soi existe-t-il ? C’est une pensée discursive également. Elle aussi est subtile, car elle nous concerne en propre, à l’intérieur. Et si nous nous posons la question : « où est ce moi, où pouvons-nous le trouver ? » nous ne serons pas capables d’apporter une réponse.
Il y a une croyance subtile en le soi comme étant réellement existant
Cette pensée discursive d’un soi, présente dans notre esprit, est extrêmement subtile. Cette pensée entraîne une saisie, nous appréhendons les choses sur la base de cette pensée discursive subtile. Ne la voyant pas, toutes les autres perturbations mentales ou afflictions que nous avons citées précédemment (désir, ignorance, aversion, orgueil et doute) apparaissent sur la base de cette saisie. Et sur base d’une saisie subtile, les pensées discursives grossières apparaissent.
Par exemple, sur la base des pensées discursives subtiles qui fonctionnent en termes de soi, l’œil va percevoir l’horloge qui est devant lui. Regardant l’horloge, il va y avoir connaissance de l’objet et sur la base de la connaissance de l’objet, une pensée va s’élever : « Ah ! Cette horloge est un bel objet ». Nous souhaitons alors le posséder et nous allons l’acheter. Une fois cet objet acheté, nous allons nous l’approprier nous dire : « cet objet est à moi, c’est le mien ». À cet instant, le désir-attachement s’élève. Et sur la base de ce désir-attachement, s’il advient qu’une personne souhaite s’approprier cet objet, en nous le volant, nous allons éprouver de l’aversion, de la colère envers elle. Ainsi, c’est sur la base de ce type de dysfonctionnement, de pensées discursives, que vont être accumulés des actes vertueux et, également, des actes non vertueux. Ceci pour expliquer que tout fonctionne sur le socle des actes, donc du karma et des afflictions. Le Bouddha a ainsi enseigné la vérité de l’origine de la souffrance en énonçant que cette vérité concerne ce qui est à abandonner. Sans enseignement pour comprendre ce qui est à abandonner, cela ne pourrait pas se faire naturellement.
Donc, quel que soit le véhicule utilisé, que ce soit du point du vue du véhicule fondamental, du grand véhicule ou du vajarayana, l’enseignement est identique : ce qui est à abandonner, ce sont bien les perturbations mentales et les actes, le karma.
Questions-réponses
Étudiant: Quand on apprend à connaître et à prendre conscience de ses émotions, comment faut-il faire pour réussir à accepter ces émotions, sans jugement ?
Khenpo: Le fait d’avoir une reconnaissance de ses perturbations mentales, de ses afflictions, est déjà une acceptation, car s’il n’y avait pas, au préalable, une acceptation, on ne pourrait pas les voir. Donc, avoir cette reconnaissance-là, se dire : «Il y a une perturbation mentale, une affliction», c’est un très bon point de départ. C’est la première étape, qui comprend l’acceptation. L’étape suivante nous entraînera à trouver des moyens pour y répondre.
Que ce soit dans votre esprit ou dans le mien, dans l’esprit de chacun, il y a des afflictions, des perturbations mentales. Reconnaître cela, être conscient des mouvements dans notre esprit, percevoir nos afflictions, nos perturbations mentales et en voir les défauts fait partie intégrante du chemin. La raison pour laquelle le Bouddha a enseigné de cette manière n’a pas pour but de générer une forme de culpabilité et nous dire : «Dans mon esprit, il y a beaucoup de perturbations mentales, je suis totalement dans l’erreur, je suis donc une mauvaise personne». Le but est de reconnaître qu’il y a perturbation mentale dans l’esprit et d’être conscient que cela va nous permettre, à l’avenir, de trouver des moyens pour nous en libérer. Pas de nous en satisfaire, mais d’avoir une forme d’acceptation et se réjouir de le voir. Sur ce sujet, le Bouddha a enseigné un grand nombre de méthodes pour maîtriser les négativités, les non-vertus accumulées. Être conscient des négativités conduit vers la notion de regret.
Dans l’esprit de chacun, il y a des afflictions, des perturbations mentales
L’important à retenir à ce propos, c’est le fait que reconnaître les négativités ou les actes non vertueux accumulés, en tant que tels, est une acceptation. Le but de l’enseignement donné par le Bouddha sur ce thème n’est pas de développer une forme de culpabilité qui ne changerait rien à la situation. Quand on prend cela de cette manière, on accepte ses actes et, à partir de là, on met en route une transformation devenue possible. Et nous pouvons alors, à ce moment-là, regretter ces actes nuisibles accomplis et prendre l’engagement de ne pas les reproduire.
Étudiant: Si le « moi », le « je » n’existe pas, que sommes-nous finalement ?
Khenpo: Justement ! Il faut regarder. Si j’existe, comment est-ce que j’existe ? Il faut regarder. En effet, c’est un peu étrange, cela peut nous embrouiller. Mais si nous ne faisons pas cette analyse-là, si nous ne nous posons pas la question, encore et encore, nous continuerons à nous tromper nous-même et à engendrer de la souffrance. Alors, nous nous rendrons compte que celui qui nous trompe et nous illusionne le plus, c’est nous-même. Personne ne nous illusionne plus que nous-même. C’est évidemment la même chose pour tout le monde. Cependant, pour bien répondre à cette question, nous y reviendrons dans le cadre de la vérité du chemin.
Étudiant: J’essaie de me projeter avec la notion du Bouddha, son histoire, son époque où la méditation était quelque chose de commun. Le rythme de la société dans laquelle il vivait était complètement différent du nôtre. Il y avait moins d’agitation, il y avait la possibilité de s’extraire de sa vie pour trouver du calme. Vous dites qu’il faut être attentif à soi, que nous sommes le produit de notre karma antérieur et qu’il faut être attentif à ce que nous générons au niveau de nos actes, de nos paroles, de nos pensées, au quotidien. Ma question est la suivante : comment arriver à appliquer ceci dans une société comme la nôtre, aujourd’hui, sans avoir, à un moment ou un autre, la tentation de se couper d’elle ? Est-il possible de pratiquer ce que vous nous expliquez là, ce que le Bouddha a enseigné, tout en restant en contact avec ceux qui le font moins ?
Khenpo: Que nous soyons dans cette situation, que nous vivions dans ce monde et que, de ce fait-là, il nous faille faire face à différentes situations, dans le cadre d’une famille, avec nos enfants, ou dans le cadre du travail ne nous empêche pas de porter notre attention sur nos actes du corps, de la parole ou de l’esprit. Par exemple, nous pouvons porter notre attention sur ce que nous accomplissons comme actes quotidiens du point de vue du corps, regarder quelle est notre manière d’agir avec le corps. Nous pouvons également faire la même chose du point de vue de la parole et regarder de quelle manière nous nous exprimons, comment nous utilisons notre parole, à quelle fin elle est utilisée. Porter notre attention sur ces aspects et essayer de développer des actes vertueux, favorables du point de vue de la parole en nous adressant aux autres de manière correcte, sur base d’une motivation juste. Nous pouvons faire la même chose du point de vue de l’esprit en nous appuyant sur des techniques et des enseignements comme l’entraînement de l’esprit (lodjong en tibétain). Pour nous entraîner à cela, la pratique de lodjong peut être mise en place au sein de notre famille, avec nos enfants ou dans notre travail. Il est possible d’amener cela dans notre quotidien, d’avoir une certaine attention sur le fait de ne pas développer des conflits, etc. Ceci consiste à être plus attentionné à ce que nous accomplissons en termes d’actes du corps, de la parole et de l’esprit. Mais cela ne se fait pas de manière directe, les choses se font petit à petit, le chemin se parcourt une étape après l’autre. Nous n’avons pas la prétention de commencer là où nous sommes et d’arriver directement à un résultat. Cela ne serait pas possible.
Étudiant: Je m’aperçois que plus je vieillis et plus je vois la mort arriver. Je prends conscience que la mort arrive. Plus qu’avant. Et cela engendre de l’angoisse. J’aurais voulu savoir quel est le moyen d’atténuer cette angoisse, même voire de la supprimer.
Khenpo: Cette finalité est la même pour tous. Qui que nous soyons, nous sommes confrontés à cette réalité. Il faudra à un moment ou à un autre nous y confronter. Il n’y a pas d’autre voie, d’autre possibilité que celle-là. Donc, d’abord, ce qui est important, c’est de garder à l’esprit cette certitude, cette évidence qu’il en est ainsi. Bien qu’il en soit ainsi, ce qui peut aider, c’est de tourner son esprit vers l’enseignement du Bouddha et y réfléchir. Il est possible que cela vienne apaiser l’esprit. Cette réalité quant au fait qu’il va falloir mourir est quelque chose qui ne peut pas être changé. C’est une évidence incontournable. Mettre en œuvre l’enseignement du Bouddha est ce qui vient apaiser l’esprit.
Sommaire
Episode 1 : Le Bouddha et son enseignement – La vérité de la souffrance – L’impermanence
Episode 2 : L’origine de la souffrance – Question-réponses
Episode 3 : La vérité de la cessation – La vérité du chemin
Episode 4 : La vérité du chemin (suite…) – Questions-réponses – Conclusion