Comprendre la réalité 4/4

Un enseignement sur les 4 sceaux du dharma

Dongsung Shabdrung Rinpoché

le deuxième sceau :

« Tous les phénomènes contaminés sont souffrance »

Ainsi que le dit le second sceau : « Tous les phénomènes contaminés sont souffrance. » Mais nous ne les percevons pas comme tels du fait de l’agitation de notre esprit ; l’esprit est tellement habitué à ce type de fonctionnement qu’il ne se rend même pas compte qu’il est  cause de cette souffrance.

Pour comprendre, prenons une comparaison. Lorsque nous sommes détendus, l’esprit calme, si quelqu’un nous dit quelque chose de blessant, cela ne va pas forcément générer une grande souffrance, car notre esprit apaisé n’est pas soumis aux émotions. Si par contre nous sommes agités, et donc l’esprit soumis à plus d’émotions, les mêmes paroles blessantes  nous paraîtrons immédiatement désagréables, générant de la  colère et créant encore plus d’émotions. C’est ainsi que l’esprit se met en état de souffrance. Sur cette base, il peut y avoir toutes sortes de souffrances qui se rajoutent, simplement parce que l’esprit est agité. En revanche quand l’esprit est calme, qu’il est moins soumis aux afflictions, il y a moins de souffrance qui se manifeste.

Que veut dire « contaminé » ?

Contaminé signifie « qui est marqué par les afflictions, les émotions perturbatrices. » Tout ce qui apparaît sur la base des afflictions est souffrance. C’est le sens de ce second sceau. On peut ramener les afflictions à trois types d’émotions de base qui sont : le désir-attachement, l’aversion, l’ignorance ou l’égarement. Elles sont la racine de toutes les autres émotions perturbatrices. Si on agit sur la base de ces afflictions, le résultat de ces actions sera nécessairement de la souffrance.

Les différents niveaux d’existence du samsara ont pour cause principale l’ignorance ou méprise. Si l’on souhaite obtenir le bonheur, il est nécessaire de savoir comment en créer les causes. Toute action n’étant pas en accord avec cette connaissance sera cause de souffrance. Souhaiter expérimenter le bonheur consiste à dissiper l’ignorance, cause de la souffrance. Parvenir à ce but signifie savoir comment procéder, connaître et suivre les méthodes appropriées.

Notre problème est que parfois, nous confondons la souffrance et le bonheur. Nous prenons l’un pour l’autre parce que nous ne sommes pas certains de ce qu’est le bonheur.

Qu’est-ce que l’ignorance ?

C’est le fait de prendre pour réel les agrégats. Sur cette base nous générons des émotions comme l’attachement ou l’aversion qui vont induire des actions. Et ce sont ces dernières qui sont la cause de notre naissance dans le samsara.

Les actions des êtres  forment le karma partagé  qui influence le monde extérieur dans lequel nous vivons. Le karma individuel influence la façon dont nous prenons naissance dans ce monde. Un dicton bouddhiste dit : « Si tu veux savoir quels étaient tes actes passés, regarde ta vie actuelle. Et si tu veux connaître tes vies futures, regarde tes actes présents. »

A cause de l’ignorance, il y a affliction et à cause de ces afflictions, nous nous engageons dans des actes qui conditionnent notre renaissance. Celle-ci va être en accord avec les actes dans lesquels nous nous sommes engagés dans nos vies passées. Si ces actes étaient des actes méritoires, vertueux, on va reprendre naissance dans une vie agréable (plus ou moins selon l’intensité de la vertu). Et si ces actes étaient négatifs, non vertueux, basés sur les afflictions, on va reprendre naissance dans une existence désagréable. Pour évoquer le samsara, on parle souvent de « la roue du samsara » : parce que nous reprenons naissance encore et encore selon les actes dans lesquels nous nous engageons. Nous ne pouvons pas voir les autres niveaux d’existence (par exemple le monde des dieux ou le monde des enfers), mais nous pouvons voir les différents types d’existence humaine. Il est donc important d’analyser ce que nous pouvons voir au regard de cet enseignement du Bouddha qui est : « Tous les phénomènes contaminés sont souffrance ».

La roue du samsara

Notre rapport à la souffrance

Il nous est difficilement acceptable d’entendre que tous les phénomènes contaminés sont souffrance dans la mesure où nous en expérimentons certains comme agréables.

Généralement nous prenons la souffrance pour quelque chose de désagréable. Nous confondons la souffrance et le bonheur cependant : il n’y a aucun phénomène contaminé qui soit autre que ce qu’on appelle les trois types de souffrance. Il n’y a pas de bonheur véritable dans le samsara. Pourquoi ? Parce que même ce que nous considérons comme étant du bonheur, est en fait défini comme bonheur par rapport à la souffrance. Il n’y a pas de bonheur qui existerait en soi, complètement libre de la souffrance.

Mais alors, qu’est-ce que le bonheur véritable ? C’est une dimension complètement libre, libre de la souffrance. Lorsque nous essayons de voir ce que l’on considère comme agréable, on le définit par rapport à autre chose qui est plus douloureux, qui est souffrance. Par exemple, quand il fait froid, on cherche à se réchauffer et quand il fait chaud, on a besoin de se rafraîchir. On a besoin du contraire. C’est un peu comme les éléphants qui vont dans une mare de boue puis qui en sortent. Alors, la boue sèche et comme c’est désagréable, ils vont de nouveau se plonger dans la boue. Il y a sans cesse la recherche d’autre chose pour obtenir le bonheur, c’est donc un bonheur dépendant.

Aryadeva, dans les Quatre cents stances, donne un exemple pour illustrer cela : autrefois, en Inde, quand quelqu’un commettait un acte contraire à la loi, sa punition revêtait la même nature que son acte. Par exemple, s’il avait volé de la nourriture ou s’il s’était adonné au jeu,    il était condamné à manger ou à jouer tout le temps pendant une durée déterminée. Ce qui était évidemment cause d’une grande souffrance. C’est pourquoi, tant qu’il y a des afflictions et tant qu’on reprend naissance dans le samsara à cause de ces afflictions, notre expérience est marquée par la souffrance.

Notre décalage avec la réalité

En fait, la façon dont nous percevons les phénomènes ne correspond pas à ce qu’ils sont vraiment : nous percevons comme agréable, quelque chose qui par nature est souffrance. Généralement nous pensons que nous pouvons être heureux grâce aux phénomènes extérieurs. Nous pensons que si nous avons une belle maison, une bonne voiture, des possessions, ces phénomènes extérieurs vont être la cause de notre bonheur. Mais en fait, les phénomènes extérieurs ne peuvent pas combler nos besoins. Quoi que l’on possède, notre satisfaction ne sera pas pérenne, elle finira par pâlir et ne pourra pas combler ce désir de vouloir à nouveau autre chose, et encore autre chose, etc. Cela ne peut mener à un bonheur durable. En fait tous ces phénomènes sont comme boire de l’eau salée.

Dans le système des quatre vérités des Nobles, il y a la vérité de la souffrance et il y a la vérité de l’origine de la souffrance. Il est expliqué que la vérité de la souffrance c’est ce qui est à connaître, et la vérité de l’origine c’est ce qui est à abandonner.

Il faut se souvenir que quand on parle de quelque chose de « contaminé », cela signifie que tout phénomène (extérieur ou intérieur) fonctionne sur base des émotions perturbatrices, des afflictions. Lorsque l’esprit est émotionnel, mû par l’aversion, le désir-attachement ou l’ignorance, il est agité, il n’est pas paisible. Cette absence de paix est en soi souffrance.

La façon dont nous percevons les phénomènes ne correspond pas à ce qu’ils sont vraiment.

Le bonheur inhérent

Le bonheur est une caractéristique de l’esprit. Mais en général, nous pensons que ce sont les phénomènes extérieurs qui vont nous rendre heureux. Sauf que le bonheur authentique ne peut être trouvé dans les objets. Ce n’est pas par eux que l’on obtiendra un bonheur véritable, puisque le bonheur est une caractéristique de l’esprit.

Vivant dans le monde du désir, nous considérons comme agréable ce que nous expérimentons grâce au plaisir des sens (sons, odeurs, textures). Nous voyons ces sensations comme étant la cause de notre bonheur. Par exemple, si quelqu’un nous dit : « Tu as l’air bien habillé aujourd’hui, tu fais jeune. », le son que l’on entend nous apparaît comme agréable et va nous rendre heureux. Ou si, par exemple, on porte un coton très doux, ou que l’on mange un bon repas, les différentes textures, goûts, odeurs, vont nous donner un sentiment de bien-être. En fait, cette expérience de bien-être est une sensation et cette sensation se trouve dans notre esprit. Elle n’est pas dans l’objet lui-même.

Voyant une forme agréable, nous serons satisfaits ; en voyant une désagréable, nous serons insatisfaits. Mais cela ne dépend que de notre esprit, de notre façon de percevoir cette forme. Le bonheur ne se trouve pas dans la forme elle-même. Il y a des personnes qui aiment les peaux claires, d’autres les peaux bronzées. Ce n’est pas la peau claire ou bronzée qui est l’expérience du bonheur, c’est la façon dont on va la percevoir. Il en va de même pour les saveurs. L’expérience du bonheur ne se trouve pas dans le goût lui-même. Le bonheur n’est pas établi dans la forme. Le bonheur que l’on expérimente par les objets des sens dépend des représentations que l’on en a, mais le bonheur véritable, lui, ne se trouve pas dans l’objet.

C’est parce que nous percevons les phénomènes sur la base de l’ignorance et des afflictions que notre expérience, même si on peut la prendre comme une expérience agréable, est par essence souffrance.

Or, de manière générale, seules certaines souffrances nous paraissent évidentes : comme celle de la naissance, de la vieillesse, de la mort.

Ceci conclut l’explication du second sceau, qui est que tous les phénomènes contaminés, tous les phénomènes qui s’élèvent à cause du fonctionnement des émotions perturbatrices, sont par nature souffrance.

Dongsung Shabdrung Rinpoché

Sommaire

Episode 1 : Introduction – Tous les phénomènes composés sont impermanents – L’impermanence, le changement même – L’impermanence grossière – Impermanence et karma

Episode 2 : L’impermanence de la continuité – Le karma – Comprendre tous les aspects de l’impermanence.

Episode 3 : L’impermanence subtile – Comment comprendre l’impermanence subtile ? – La contemplation de l’impermanence.

Episode 4 :  Tous les phénomènes contaminés sont souffrance – Que veut dire contaminé ? – Qu’est-ce que l’ignorance ? – Notre rapport à la souffrance – Notre décalage avec la réalité – Le bonheur inhérent.