Quand le bouddhisme rencontre la pleine conscience
Soirée rencontre des « jeudis de l’université » organisée par Dhagpo Bordeaux
16 mai 2019 – Lama Puntso et Stéphane Faure
Les rencontres des Jeudis de l’Université « Mieux comprendre l’attention et la vigilance » se poursuivent à Dhagpo Bordeaux dans le cadre de l’axe « Bouddhisme et Société ».
A cette occasion, la salle est comble pour recevoir Stéphane Faure, instructeur certifié de pleine conscience MBSR, venu échanger avec lama Puntso sur le thème : « De la méditation à la pleine conscience ».
Un intitulé qui laisse notre lama dubitatif car ces notions qui semblent définir la même pratique recouvrent des réalités très distinctes. Si elles partagent un socle commun, que vont décrypter les intervenants à partir de leurs expériences personnelles, un mouvement de continuité ou de progression « de » la méditation « à » la pleine conscience ne va pas de soi.
Pour Stéphane Faure, qui a suivi le même cursus d’apprentissage de l’enseignement du Bouddha que lama Puntso auprès de Guendune Rinpoché, il est possible de réaliser un trait d’union entre la méditation bouddhiste et les nouvelles approches de méditation de pleine conscience.
La méditation, telle que pratiquée dans la tradition bouddhiste depuis 2.500 ans, est un entraînement de l’esprit visant à développer des qualités d’attention et de présence dans le but de se transformer et de se libérer.
La pleine conscience, aussi traduite de l’anglais mindfullness par « pleine présence » est, quant à elle, un état recherché dans une pratique thérapeutique inspirée de la méditation bouddhiste.
Cette pratique a été développée dans les années 1970 par Jon Kabat-Zin et son maître bouddhiste Thich Nhat Hanh pour réduire le stress dans le milieu hospitalier.
Nos intervenants, en croisant leurs regards sur ces deux disciplines, ont identifié trois portes d’entrées pour les mettre en perspective :
- la motivation en lien avec la vulnérabilité,
- le non-jugement
- et la compassion.
La motivation : deux perspectives différentes
La méditation bouddhiste et la méditation de pleine conscience visent toutes deux à prendre conscience de nos fonctionnements mentaux ou plutôt du dysfonctionnement fondamental de notre esprit qui « se débat avec le fait que tout change et génère une inquiétude » comme l’explique Stéphane Faure. Les programmes de méditation de pleine conscience « créent un cadre sécurisant pour pouvoir approcher l’insécurité et nous connecter à notre vulnérabilité profonde » ajoute-t-il. « L’observation approfondie de cette vulnérabilité permet de réaliser que l’on voit le monde à partir de soi et que l’on associe nos ressentis à nos perceptions. Cette expérience du soi devient ensuite l’objet même de notre méditation ». Une stabilité mentale peut alors s’installer et permettre d’avoir une certaine flexibilité pour pouvoir agir sur nos habitudes et développer celles qui sont le plus en accord avec ce qu’on est.
Lama Puntso évoque, quant à lui, le paradoxe qui se situe au fondement de l’approche bouddhiste : l’humain a un a priori naturel instinctif à rechercher un bonheur stable et définitif à partir de causes extérieures à lui-même alors que tout change sans cesse. Il cite son maître Guendune Rinpoché : « c’est la recherche du bonheur qui m’empêche de le trouver ». Le Bouddha propose de partir à la rencontre de cette vulnérabilité en s’arrêtant, en s’asseyant, en regardant et en s’observant dans ses fonctionnements et dysfonctionnements. Au bout du compte, c’est l’identification au « moi » et le « moi » lui-même qui vont être questionnés sans pour autant nier ce « moi ». Là où la MBSR apporte des solutions, « aller mieux » ou « être moins stressé », le chemin proposé par le Bouddha est celui de la sortie de l’illusion et de la cessation de la souffrance par la transformation du mode de connaissance. Pour pouvoir dépasser nos fonctionnements premiers en allant à la rencontre de ces dysfonctionnements, il est indispensable de travailler le non-jugement.
Le non jugement : qualité de l’attention et non dogmatisme
Le non-jugement est, dans la pleine conscience, l’une des sept attitudes qui permettent d’améliorer la qualité de l’attention et de réduire le stress. Stéphane Faure explique que les jugements ne doivent pas cesser de s’élever mais être vus comme la vraie distraction, avant de ramener son attention vers son souffle. Une compréhension plus subtile vient ensuite, celle du processus qui fait que des impressions ou des habitudes mentales s’associent à la perception de la réalité et la façonnent, la colorent. Le travail de méditation de pleine conscience consiste à « voir que les représentations conceptuelles sont une sorte de ciment qui vient associer les briques de perceptions sensorielles ». L’attitude de non-jugement permet d’observer cela sans jugement moral.
Le Bouddha propose de changer de mode de connaissance et de mode d’être, rappelle lama Puntso, afin de ne plus générer des causes de souffrance pour soi et les autres. Pour y parvenir, il s’agit de ne pas envisager le chemin proposé par le Bouddha de façon dogmatique ou sous forme d’injonctions mais comme des propositions de réflexion à expérimenter. L’entraînement passe par trois formes distinctes mais indissociables : la méditation pour pacifier et clarifier l’esprit ; l’éthique pour cultiver la justesse de l’état d’esprit, de l’action et de la parole et le discernement qui est une vue, une réflexion à mener. Il s’agit du projet d’une vie, au moins ! La loi du karma enseigne que ce sont mes actes qui vont décider des expériences que je vais rencontrer or toute action commence par les états d’esprit. L’idée de la vigilance est d’être le plus au clair avec mes états d’esprit, sans jugement, car ceux-ci vont décider de mes actions concrètes. Dans cette découverte de soi-même, le sentiment de culpabilité est l’un des obstacles possible. Pour y répondre, lama Puntso cite Jigmé Rinpoché: « It’s a mechanic !» (c’est semblable à une mécanique !) Il s’agit d’identifier les bons fonctionnements et de les mettre en œuvre avec une approche naturelle, plus fraîche et immédiate.
La compassion : clarté et discernement
Enfin, la notion de compassion se retrouve dans les deux disciplines sans toutefois avoir le même sens. Dans la pleine conscience, comme l’explique Stéphane Faure, « il s’agit de la clarté avec laquelle on va aborder sa propre vulnérabilité et celle de l’autre ». Cette clarté permet, selon lui, de trouver la réponse la plus appropriée, sans être dans une forme de posture. Sur ce point, Stéphane Faure estime que les programmes de pleine conscience divergent fortement du bouddhisme et sont, pour cette raison, plus adaptés aux mentalités des Occidentaux que l’approche bouddhiste. Il avoue ne pas croire que le bouddhisme puisse se répandre en Occident de la même manière qu’il s’est répandu dans les pays où les civilisations étaient féodales et animistes. Il n’est d’ailleurs jamais arrivé dans des pays à culture monothéiste. De plus, nos sociétés modernes sont désacralisées depuis longtemps et les individus ont des opinions diverses, des pensées et des représentations conceptuelles complexes. Il ajoute que les pratiques de l’attention sont venues rapidement répondre aux trois grandes brèches de nos sociétés : celle de l’être à réparer à l’intérieur, celle des relations entre les humains, celle de l’environnement. Elles semblent en mesure de faciliter la capacité d’un être humain à retrouver du sens, à se retrouver lui-même, à interagir et à accompagner les changements d’habitude de vie nécessaires pour préserver l’environnement.
Lama Puntso : « Comment ça le bouddhisme n’est pas adapté ? » (rires). Si le bouddhisme n’est pas dogmatique, il n’en demeure pas moins une tradition qui demande un certain effort pour la rencontrer. Il se fonde sur le fait que le Bouddha a vu la réalité telle qu’elle est et nous faisons confiance à l’enseignement qu’il a donné pour nous permettre, comme lui, de nous libérer de l’illusion. La méditation est, sans aucun doute, un moyen de développer la souplesse pour accueillir les situations comme elles sont mais, insiste lama Puntso, la cause du bonheur c’est l’éthique : la façon dont j’agis, ce que je fais et ce que je ne fais pas. Pas une posture éthique mais des causes que je crée à partir d’actes fondés sur mes états d’esprit. Ainsi, méditation et éthique fonctionnent de pair : la méditation m’aide à appliquer une éthique et l’éthique nourrit la méditation dans ce qu’elle a de vertueux. Lama Puntso précise que, dans le bouddhisme, la compassion n’est pas un ressenti émotionnel, « c’est un discernement, une compréhension de mes fonctionnements, de mes vulnérabilités qui me permettent de comprendre ensuite celles de l’autre. A terme, le fait de m’ouvrir, de comprendre, de développer cette compassion envers l’autre me permet d’accomplir naturellement mon propre bienfait. Mais ceci est une autre discussion… ».
Pour Stéphane Faure, l’attitude de compassion, telle qu’elle est envisagée dans la pleine conscience, permet l’émergence de l’éthique. L’éthique est la conséquence de la pratique méditative qui permet de clarifier ce que sont mes valeurs, ce qui est vraiment important pour moi et que je vais cultiver.
Ophélie Teyssandier