Les quatre vérités des nobles (3/4)
Enseignement de Khenpo Chödrak Rinpoché à Dhagpo Bordeaux en juin 2019. Traduit par Peïo.
Khenpo Chödrak Rinpoché
La vérité de la cessation
Des quatre vérités des êtres nobles, la troisième porte sur la cessation. Quand on parle de cessation, en tibétain, on utilise le terme gagpa qui exprime le fait qu’il y a un arrêt. Qu’est-ce qui est arrêté, qu’est-ce qui cesse ? C’est ce dont nous avons parlé précédemment, le karma (les actes) et les afflictions. Du fait d’avoir médité sur cette vérité-là, nous allons tarir tout ce qui a été accumulé comme actes et comme afflictions. Et ainsi, ce qui va cesser, ce sont les souffrances liées à la production de ces actes et de ces afflictions : la souffrance de la naissance, la souffrance du vieillissement, la souffrance de la maladie et celle de la mort.
Alors que la deuxième vérité, celle des causes de la souffrance, est ce qui est à abandonner, le Bouddha a expliqué que cette troisième vérité est ce qui est à obtenir. Nous vient alors la question : «Comment puis-je obtenir la cessation ?»
La vérité du chemin
C’est la quatrième des vérités qui répond à cette question : il s’agit du chemin. La vérité du chemin est expliquée en tant que cause de la vérité de la cessation.
Par exemple, demain, je souhaite me rendre à Périgueux en Dordogne. Mais souhaiter y aller ne suffit pas pour que je m’y rende. Pour y arriver, il me faut connaître le chemin. Pour arpenter la voie du Bouddha, il est nécessaire de pratiquer. Pour ce faire, il existe différentes approches qui se sont déclinées en différents véhicules. Pour réfléchir à la manière de pratiquer la voie, les méthodes sont données en fonction de ce que l’on appelle « les trois types d’individus ».
L’individu ordinaire
Le premier type d’individu est dit être ordinaire. Il a une manière de penser que l’on pourrait qualifier de générale. Générale dans le sens de ce qui est recherché habituellement dans le monde, de ce que recherchent, généralement, les gens dans le monde. En réalité, cela se réduit à la recherche du bonheur pour soi, au fait d’être heureux, au fait de ne pas être malade, au fait d’acquérir des richesses ou, par exemple, au fait d’avoir un bon travail ou un bon statut social.
Par conséquent, si, en règle générale, nous demandons aux gens dans ce monde s’ils ont envie d’avoir une bonne maison ou un bon lieu de vie, ils vont dire : «Oui, oui, c’est ce que je recherche». Si on leur demande s’ils souhaitent manger de la bonne nourriture, en règle générale, ils vont répondre : «Oui, je souhaite bien manger». Si on leur demande s’ils souhaitent ne pas être malades, ils vont répondre qu’ils ne souhaitent pas être malades non plus…etc. C’est dans le sens où ils sont dans une recherche ordinaire ou générale du point de vue du monde. Même s’il peut y avoir, dans cette recherche-là, des petites différences suivant les individus.
Toujours dans ce premier type d’individus, une des différences possibles concerne la croyance en la réincarnation ou une visée quant aux vies passées et futures. À ce moment-là, il y a un petit changement qui peut s’effectuer, car il y aura une pensée orientée sur le fait de préparer la vie suivante. Cet individu n’est pas juste focalisé sur son existence présente. Il commence à avoir une perception que cela va continuer et donc préparer la vie qui viendra par la suite. Il peut alors devenir conscient de l’environnement dans lequel il vit au moment présent. Comme nous, à l’heure actuelle, nous avons pris naissance dans un environnement agréable. Nous vivons dans un pays qui est un beau pays, où il n’y a pas de guerre, où l’on peut bien manger, où notre environnement nous convient. Avec cette idée, nous allons réfléchir aux souffrances que nous pouvons voir de manière quotidienne partout dans le monde. Nous allons cultiver le souhait de ne pas vivre ce type d’insatisfaction et de mettre en place ce qui est nécessaire pour préparer et avoir une existence future dotée des bonnes conditions.
Quand ce type d’individu réfléchit de la sorte, il pense à sa vie passée et également à sa vie future. Et il va se demander : l’individu qui avait ce corps dans la vie passée et l’individu qui aura un corps dans la vie future, est-il le même, parce que ce ne sera pas le même corps ? Une fois que l’on sera mort, notre corps va être abandonné, et mis par exemple sous terre où il va se décomposer. Et, réfléchissant ainsi, il arrivera à la conclusion que ce qui va se poursuivre, ce qui se perpétue, c’est l’esprit. Il va se dire : «Il y a une continuité de l’esprit». Et comprenant la continuité, il identifie les caractéristiques de l’esprit : le fait d’être ininterrompu, d’être sans entraves, de ne pas cesser. Il est également auto connaissant, l’esprit se connaît lui-même.
Quand nous réfléchissons de la sorte, nous arrivons à la conclusion que ce qui va s’interrompre au moment du trépas, c’est notre corps. Mais l’esprit, lui, est ininterrompu, sans entrave. C’est comme la lumière, les faisceaux lumineux qui entrent dans le temple. Ils sont ininterrompus. Il n’y a rien qui fait obstacle à cette lumière-là. De la même manière, l’esprit ne cessera pas au moment de la mort.
Un exemple : j’ai étudié pendant de nombreuses années au sein de différentes écoles et dans différentes structures. Mais cela, c’est un apprentissage qui est temporaire, des connaissances accumulées qui ne sont que temporaires. Et si nous réfléchissons à la raison pour laquelle nous étudions véritablement, la raison est que nous étudions afin de clarifier notre continuum mental. Et pourquoi clarifier son continuum mental ? On le clarifie afin de dissiper les obscurcissements qui l’entravent.
Le Bouddha a enseigné la présence des tendances latentes, celles que nous avons dans le continuum de notre esprit. Si elles sont puissantes, elles peuvent avoir beaucoup de conséquences. Par exemple, quand je lis des textes en tibétain, si je pose mon esprit dessus en les étudiant et en me concentrant et que j’y reviens encore et encore, je me rendrai compte dans quelques années qu’ils sont encore dans mon esprit, que je peux encore m’en souvenir. Et le fait que je m’en souvienne est dû à la caractéristique de l’esprit qui est cet aspect de clarté.
Tout comme la manière dont nous profitons de la bonne nourriture, des restaurants, de bonnes conditions extérieures, etc. est tributaire de l’argent que nous avons ou pas, notre vie prochaine est tributaire de ce que nous faisons aujourd’hui avec le corps et la bonne situation que nous avons. Comme nous l’avons dit précédemment, il est clair et évident que nous allons mourir. Or cette séparation se fait sur la base de nos conditions actuelles. Pour l’esprit, le corps est comme un hôtel dont nous sommes seulement les hôtes. De la même manière que nous pouvons à l’heure actuelle profiter des bonnes conditions dans un bon hôtel en rapport avec l’argent que nous avons ou pas, les actes que nous allons accumuler vont nous conduire à une certaine situation dans la vie prochaine.
Le corps est comme un hôtel dont nous sommes seulement les hôtes
Pour l’instant, regardons notre condition actuelle. Nous pouvons nous rendre compte que nous résidons dans un hôtel agréable. La vie que nous menons est celle d’un hôtel de qualité. Mais à un moment donné, nous n’aurons plus suffisamment d’argent pour payer le loyer de notre chambre à l’hôtel. Et à ce moment-là, il est possible que cela entraîne dans notre esprit des difficultés, que ce soit difficile à gérer : au moment où nous ne pourrons plus payer le loyer, cela entraînera des perturbations. Si, par contre, nous sommes préparés à cela, il nous sera facile de laisser notre chambre, de quitter l’hôtel. Alors, nous pourrons nous dire : «<Ce n’est qu’une chambre d’hôtel et je peux la laisser sans aucune difficulté». Mais cela ne sera possible que sur la base d’une préparation qui aura été faite auparavant. Au moment de quitter l’hôtel, les difficultés expérimentées seront proportionnelles à la préparation qui aura été faite ou pas.
Imaginons que nous avons une personne en face de nous qui se sente accablée de devoir quitter sa chambre d’hôtel. Si elle se plaint, qu’elle dise à quel point il est difficile d’abandonner cette chambre à laquelle elle est si attachée, nous nous dirons : «Cette personne est un peu stupide, c’est un peu idiot d’avoir développé autant d’attachement pour une chambre d’hôtel». Il en est de même pour nous dans cette existence, qui développons autant d’attachement pour une vie qui, au bout du compte, est transitoire. On pourrait avoir la même réflexion vis-à-vis d’une personne qui a un tel attachement pour cette vie. En réfléchissant ainsi, on peut tourner notre esprit vers la vie suivante. Et se souvenir que l’hôtel de cette vie n’est pas si important.
La question suivante pourrait être: «Mais comment se préparer à un tel état d’esprit ?» C’est l’esprit qu’il faut préparer. Et quand on parle de l’esprit, il s’agit de notre manière de penser. Donc, de quelle manière me faut-il penser pour me préparer à ce moment-là ? La meilleure des manières, c’est de se prémunir d’un esprit nuisible, de la malveillance dans l’esprit. Si l’on prémunit notre esprit de la malveillance, naturellement les afflictions d’aversion ou de colère n’y prendront plus place. Et au fur et à mesure, qui que nous rencontrions, nous pourrons entrer en amitié avec ces personnes. Nous pourrons établir un lien fraternel avec elles.
La deuxième chose contre laquelle nous devons nous prémunir pour préparer notre esprit et notre manière de penser, c’est de nous prémunir de la convoitise. La convoitise porte sur le fait de convoiter les richesses, les possessions, le nom, le statut, la célébrité…etc. Toutes ces choses qui sont possessions d’autrui, dont d’autres jouissent et que nous souhaiterions posséder, récupérer pour nous. Ce type de fonctionnement mental conduit à développer du désir-attachement dans l’esprit. Aussi, considérant cela, nous pouvons réfléchir et nous dire : «Mais ce dont jouit cette personne, la situation dont elle profite, c’est le résultat et le fruit de son travail. C’est par son travail qu’elle est arrivée à cette situation-là, parce qu’elle a mis des choses en place pour cela». Si l’on réfléchit de la sorte, si l’on contrecarre les pensées de convoitise de la sorte, cela va nous permettre de ne plus accumuler ce type de karma et ce type de pensées de convoitise.
La troisième chose dont il faut se prémunir afin de préparer son esprit, est-ce qu’on appelle les vues erronées. Ce dont on parle, c’est le fait de ne pas avoir confiance dans la loi de causalité. Donc de ne pas penser que d’actes favorables naîtront des conditions favorables, confortables, de bonheur ou de penser que des actes défavorables n’adviendront pas de multiples souffrances. Ceci est un exemple de vue erronée.
Cependant, ne pas avoir ce genre de pensées à l’esprit est difficile. Il est difficile de s’en prémunir, de se séparer de ce type de fonctionnement. Donc, ce qui est nécessaire, au préalable, c’est apprendre à cultiver son esprit c’est à dire méditer. En cultivant le fait d’abandonner la malveillance dans l’esprit, en cultivant le fait d’abandonner la convoitise dans l’esprit et en cultivant le fait d’abandonner les vues fausses dans l’esprit, nous aurons déjà un bienfait dans cette vie même. Et par cette accoutumance, grâce à cet entraînement, il y aura également un bienfait pour les vies suivantes.
Si nous cultivons la première des trois pensées : abandonner la malveillance, nous entrerons plus facilement en amitié avec les gens. Nous serons également plus enclins à l’harmonie dans les lieux dans lesquels nous sommes et les gens avec qui nous sommes en relation.
En abandonnant la convoitise, nous nous prémunirons de la jalousie dans l’esprit. Nous serons beaucoup moins affectés par la jalousie. En abandonnant les vues fausses, nous pourrons être bénéfiques non seulement à nous-même, mais également aux autres. Car si l’on réfléchit en termes de loi de causalité, des causes et de leurs effets, ce sera bénéfique pour tous. Cultiver ces différents aspects de l’esprit sera bon pour notre corps dans cette vie ainsi que pour notre existence en général. Et nous obtiendrons un corps excellent dans la vie suivante.
Concernant la parole, ce dont nous avons à nous prémunir, c’est le mensonge. Donc, ne pas mentir et ne pas calomnier non plus. Ensuite, ne pas user de paroles blessantes. Et quatrièmement, ne pas tomber dans l’usage de paroles inconsidérées.
Concernant le corps, nous avons à éviter le fait de voler. Il y a différentes classifications quand on parle du fait de voler, de prendre ce qui n’est pas donné. Considérons également le fait de ne pas tuer, de ne pas trancher la vie. Et ce n’est pas juste tuer froidement quelqu’un qui est en face de nous, il s’agit de tout acte associé au fait de trancher la vie. Et enfin se prémunir de l’inconduite sexuelle.
Si l’on agit en se prémunissant de ces actes-là, cela aura de réels bienfaits. Dans cette vie et dans les vies suivantes, le fait de ne pas tuer, de ne pas trancher la vie contribuera au fait d’avoir une existence plus longue. Le fait de ne pas voler, de ne pas prendre ce qui n’est pas donné, contribuera à l’accroissement de la richesse, permettra d’être plus riche dans notre vie actuelle ou dans la vie suivante. Le fait de se prémunir de l’inconduite sexuelle nous permettra d’avoir des relations de couple davantage basées sur l’amour avec des relations moins conflictuelles. En résumé, si l’on réunit tout ce qui vient d’être dit comme étant une préparation, nous réunirons dès lors toutes les causes pour obtenir un corps excellent dans la vie suivante.
Donc, si nous nous posons la question de notre vie précédente, il nous faut regarder notre situation actuelle. Nous pouvons nous rendre compte que notre situation est celle de quelqu’un qui a obtenu une existence humaine. Et non seulement une existence humaine, mais dotée en plus de bonnes conditions, avec un environnement qui n’est peut-être pas excellent, mais qui est de bonne qualité. De la même manière, pour notre vie prochaine, si nous souhaitons avoir des bonnes conditions, cela dépend de ce que nous mettons en œuvre maintenant. Et le meilleur moyen pour obtenir une existence avec de bonnes conditions, c’est d’abandonner les dix actes non favorables que nous avons cités précédemment.
Ce qui est exprimé là est le socle, la racine de tout le fonctionnement. Ensuite, en approfondissant les enseignements, il sera possible d’aller de plus en plus dans les détails quant au fonctionnement de tout cela. Mais, ceci n’est qu’un résumé pour comprendre le fonctionnement.
Sommaire
Episode 1 : Le Bouddha et son enseignement – La vérité de la souffrance – L’impermanence
Episode 2 : L’origine de la souffrance – Question-réponses
Episode 3 : La vérité de la cessation – La vérité du chemin
Episode 4 : La vérité du chemin (suite…) – Questions-réponses – Conclusion