Qu’est-ce méditer?
Jigmé Rinpoché
Ce texte a été rédigé par lama Puntso à partir d’extraits d’enseignements de Jigmé Rinpoché
Le sens de la méditation
La non-distraction, cette présence consciente, permet à l’esprit de développer une clarté qui nous conduit à entrer de plus en plus intimement en contact avec notre nature.
Nous nous exerçons à ne pas être interrompus, distraits, emportés par tout ce qui s’élève dans l’esprit. Cela ne signifie pas que nous cherchons à nous échapper de l’environnement extérieur ou à nous fermer à notre réalité intérieure. Nous restons réceptifs à tout ce qui apparaît dans l’esprit, comme à tout ce qui est perçu par nos cinq sens : les formes extérieures, les sons, etc. Nous accueillons toutes ces sensations sans les rejeter, dans un état de vigilance dépourvu de tension.
Le terme « méditation », dans ce contexte, recouvre le concept suivant en tibétain : demeurer avec ce qui est dans un état pacifié.
L’objectif est donc de faire en sorte que l’esprit ne soit plus distrait par les habitudes et les chemins tracés qu’il emprunte automatiquement. Les pensées continueront de s’élever dans l’esprit selon le mouvement imprimé par nos tendances, il n’est pas question de les éradiquer ni de les bloquer, mais de ne pas les suivre.
Pratiquer une méditation juste permet de récolter, à terme, le fruit juste. « Juste » ne signifie pas ici positif. Si la méditation que nous pratiquons est authentique et que nous l’utilisons de façon appropriée, nous récolterons le fruit approprié qui est ultimement la réalisation de l’éveil et temporairement un mieux-vivre en tant qu’être humain.
Attention et vigilance
Lorsque nous méditons, nous ne tentons nullement de nous concentrer au sens ordinaire du terme, ni d’atteindre un état particulier, ni de percevoir quelque chose de spécial. Simplement, l’esprit demeure dans une présence vive et consciente. Nous distinguons clairement tout ce qui se produit à l’intérieur comme à l’extérieur mais sans perdre le fil de la méditation, nous préservons la présence consciente.
Toutefois, la maintenir requiert un apprentissage, un certain entraînement. En effet, nous ne sommes pas habitués à être réellement au fait du fonctionnement de notre esprit et de nos réactions à l’environnement. Nous allons nous apercevoir qu’au bout de quelques secondes, nous nous laissons emporter. Revenir encore et encore à cette attention consciente, c’est cela méditer. C’est la mise en œuvre de la vigilance et du rappel qui permet de ne pas nous perdre.
Lorsque nous méditons, nous ne tentons pas d’analyser ce qui se passe. Quand une pensée s’élève dans l’esprit, si nous ne la saisissons pas, elle se dissout et se résorbe d’elle-même à l’image des flocons de neige tombant sur une pierre chaude. Nous restons simplement conscients, présents, alertes.
Pour nous aider, nous allons poser l’esprit sur un support. On va tout simplement continuer à rester sur ce support de méditation, c’est ce que l’on appelle la vigilance. Grâce à elle, nous développons une qualité de présence qui nous aide à être plus conscients de nous-mêmes. Cette vigilance va nous conduire à ne pas suivre les différentes idées qui s’élèvent dans l’esprit. A chaque fois que nous serons distrait, il nous faudra revenir au support. On continue comme cela aussi longtemps que possible, selon le temps dont on dispose et selon notre capacité.
Détente et discernement
Quand l’esprit est clair, la perception de son fonctionnement est plus aiguë. Nous percevons alors avec précision ce qui empêche la véritable détente, la détente qui est une qualité de notre nature. De façon générale, même si aucune circonstance ne vient nous troubler, nous ne sommes pas vraiment détendus. Généralement, nous ne savons pas pourquoi. En réfléchissant, nous pouvons voir que la cause en est la saisie d’un soi.
Nous cherchons tous à être heureux mais ce bonheur nous échappe car nous n’arrivons pas à utiliser dans l’activité quotidienne la clarté que nous expérimentons dans la méditation. En fait, notre esprit est toujours en proie à la distraction et nous manquons d’ouverture, de disponibilité aux choses, bref, de détente. La détente est l’apaisement de l’esprit par la compréhension de son fonctionnement.
Prenons un exemple. Nous attachons beaucoup d’importance à notre corps. Dès que nous ressentons une douleur, nous nous inquiétons ; surtout si nous n’en connaissons pas la cause. Par contre, si, en proie à une souffrance, nous nous rendons compte que nous n’avons rien de grave, nous nous détendons, notre inquiétude a cessé. Cette détente provient de la compréhension. Compréhension que, fondamentalement, rien n’est vraiment dérangeant pour l’esprit.
Quand l’esprit est très clair, il faut encore éviter de se laisser piéger en saisissant la clarté. Nous risquons en effet de figer cette clarté, de nous y attacher. Et de nouveau, l’attachement à la clarté empêchera la véritable détente. Quand nous percevons en profondeur et comprenons ce qui a lieu en nous – les distractions et les perturbations de notre esprit – une détente mentale prend place. Ces perturbations étant impermanentes, elles n’ont pas grande importance. Cette compréhension va nous empêcher d’être pris dans les situations. La clef de la détente c’est de combiner discernement et clarté.
Les émotions perturbatrices surgissent dans certaines circonstances. Ces circonstances nous révèlent donc nos émotions. Si nous essayons d’éviter les situations, les émotions, bien qu’étant au fond de nous, ne se manifesteront pas. Mais la véritable détente ne s’obtient pas en se cachant dans un coin pour être tranquilles parce que, même si nous pensons que nous y sommes paisibles et sereins, en fait, notre esprit n’est pas vraiment en paix. Par contre, étant dans l’activité, si nous essayons de comprendre ce qui se passe, dès qu’il y a compréhension, il y a détente. Détente ne veut pas dire absence de mouvement et d’action. La détente s’applique à notre esprit.
Essayons de voir comment nous fonctionnons sans nous juger. Faisons cela sincèrement, sans hésitation, sans essayer de fuir, sans utiliser des méthodes artificielles pour nous calmer. Essayons simplement de voir qui nous sommes. Pour cela, il n’y a rien à changer. Si nous essayons de modifier notre comportement, cela restera artificiel et de courte durée. L’esprit, lui, restera le même. Par contre, si nous regardons de façon très naturelle, nous pourrons voir très clairement. Ne jugeons pas, contentons-nous de regarder. Juger veut dire : essayer d’éliminer, condamner, fabriquer.
Un processus naturel
La méditation est un processus naturel. Il n’y a pas à ruser ou à forcer l’esprit. Il suffit de le laisser dans son état naturel, avec une grande lucidité. Et il ne s’agit pas d’être en attente d’un résultat immédiat. Les fruits ne mûriront qu’avec le temps. Simplement, soyons naturels et entrainons-nous à vivre la situation telle qu’elle est dans le moment. Et, bien qu’au début nous ne connaissions qu’un bref instant de perception claire, elle nous apporte tout de même une certitude quant à la clarté de notre esprit. Cette certitude nous encourage et nous donne envie de méditer davantage.
La méditation n’est pas une tâche spéciale à effectuer dans un certain délai. Par exemple, je bêche le jardin, je sème les graines, j’ai fini le travail : mission accomplie, je me réjouis. Bravo, le but est atteint. C’est terminé ! Ou bien : j’ai fait des études, j’obtiens le diplôme, j’exerce mes fonctions. Non, il n’en est pas ainsi. En méditant, nous n’obtiendrons rien de directement utilisable. Pourtant, à coup sûr il y aura des fruits. Le développement que nous avons entrepris nous conduira au terme du processus.
Souvent, au début, lorsqu’on reçoit les premières instructions de méditation, on est plein d’entrain, plein de courage, mais aussi plein d’attentes. Et puis, on médite, on médite, et rien ne vient. Alors, on se décourage, on se dit : « finalement, ce n’est pas pour moi », et on arrête de pratiquer. Ou bien, en pratiquant, de petites expériences s’élèvent. On est alors fasciné par ces expériences, elles deviennent une nouvelle préoccupation pour l’esprit et cette saisie empêche de progresser. Il s’agit d’approfondir encore et encore la méditation jusqu’à en récolter les pleins résultats, et, en même temps, s’entrainer à ne pas cultiver les attentes. Tels sont les paradoxes du processus méditatif.
La méditation en action
Pour faciliter le processus, une méditation quotidienne est nécessaire. C’est quelque chose de très simple et en même temps de très efficace. Même si, au début, cela peut être un peu difficile, le fait de s’habituer à une pratique continue et régulière rend l’exercice plus aisé.
Il est important de voir que ce que l’on fait dans la vie va vraiment de pair avec la pratique méditative. On amène le sens de la pratique dans notre façon d’agir. C’est seulement en s’y appliquant régulièrement qu’une compréhension plus profonde des choses et de résultats plus profonds émergeront. Le sens de la pratique méditative doit être amené dans notre vie quotidienne et dans notre façon d’agir.
Si nous manquons de temps pour nous entraîner à la méditation, il est possible, juste avant de commencer une activité, de prendre un instant pour poser l’esprit. Avec un entraînement quotidien, ces courts moments de méditation nous offrent un réel espace d’introspection et de réflexion qui augmentera notre capacité de clarté.
L’entraînement au quotidien
Lorsque s’élèvent les émotions perturbatrices, la clarté de notre vision les met au jour, et elles s’apaisent d’elles-mêmes. D’ordinaire, nous suivons nos impulsions et le cours de nos émotions (colère, orgueil, jalousie, attachement, etc.), et c’est précisément cette réaction et cette identification à nos émotions qui suscite toutes les tensions de l’esprit. Grâce à la méditation, notre regard se fait plus précis, nous ne rejetons pas l’émotion, nous ne la supprimons pas, mais, grâce à notre lucidité, nous sommes beaucoup moins « pris » et entrainés par celle-ci ; la tension diminue et notre liberté augmente.
D’une manière générale, plus notre lucidité se développe et plus nous comprenons notre fonctionnement intérieur, basé sur un mouvement « actions-réactions ». En d’autres termes, nous réagissons aux stimuli extérieurs, notamment aux actes et aux paroles d’autrui. Dès lors, nous ne sommes plus aussi convaincus de notre bon droit et nous ne rejetons plus systématiquement la faute sur les autres. Nous comprenons d’une manière juste leur propre fonctionnement intérieur, car il est semblable à celui que nous avons décelé en nous-mêmes.
Pour que tout devienne plus facile, une méditation quotidienne est nécessaire. C’est quelque chose de très simple et en même temps de très efficace. Même si au début, cela peut être un peu difficile, le fait de s’y habituer par une pratique continue rendra l’exercice plus facile.
Il est important de voir que ce que l’on fait dans la vie va vraiment de pair avec la pratique. On amène le sens de la pratique dans notre façon d’agir. C’est seulement en s’y appliquant régulièrement qu’une compréhension très profonde des choses et de vrais résultats positifs pourront émerger. Le sens de la pratique méditative doit être amené dans notre vie quotidienne et dans notre façon d’agir. Seule une application régulière permet une compréhension profonde des choses et l’émergence de résultats vraiment bénéfiques.
Si nous manquons de temps pour nous entraîner à la méditation, il est possible, juste avant de commencer une activité, de prendre un instant pour poser l’esprit. Avec un entraînement quotidien, ces courts moments de méditation nous offrirons un réel espace d’introspection et de réflexion qui augmentera notre capacité de clarté.
La technique n’est qu’une technique
Pour aider à l’accomplissement du processus méditatif, il existe diverses méthodes. Il existe de nombreux supports différents, mais la pratique la plus simple est d’utiliser sa respiration et de focaliser son esprit dessus.
Il s’agit de compter jusqu’à 21 expirations et inspirations. L’entrainement consiste à ne pas laisser l’esprit se distraire et rester concentré. Il est donc nécessaire, dans un premier temps, de savoir comment demeurer dans cette concentration, et pour cela comprendre comment l’esprit est perturbé. Une fois le mécanisme compris, nous pouvons alors mettre en œuvre les moyens pour ne pas être submergés par les distractions ; c’est ainsi que nous développons une qualité de présence. Sans la reconnaissance du mécanisme d’apparition des pensées dans l’esprit, il n’est pas envisageable de se défaire du ressac de nos habitudes. La conscience lucide offre à l’esprit l’opportunité d’éviter la distraction.
Nous effectuons un cycle de vingt et une respirations complètes : nous expirons, puis inspirons en marquant une pause. Nous procédons ainsi vingt et une fois en étant conscients du déroulement de chacune des respirations. Bien entendu, il est recommandé d’allonger ces sessions dès que nous nous en sentons capable. Il est bon également de multiplier les sessions au cours d’une même journée.
La vigilance offre à l’esprit l’opportunité d’éviter la distraction. Ce résultat exige des efforts et de la patience ; une fois un premier degré de conscience acquis, l’entraînement consiste à augmenter la période de concentration. Nous commençons par de courtes périodes de méditation, puis, à force de régularité, la durée des sessions pourra être allongée, l’idée étant de demeurer absorbés le plus longtemps possible afin de révéler notre discernement. Les instructions ne peuvent être intégrées que si l’esprit est clair, c’est-a-dire s’il peut rester centré sans être perturbé par ses schémas émotionnels habituels.
De l’entraînement émerge une pratique de plus en plus naturelle. Ainsi, une fois arrivé à 21 respirations, nous en comptons de plus en plus, toujours avec la même qualité d’absorption. Une personne avec une certaine expérience de pratique peut tout à fait rester concentrée pendant plusieurs milliers de respirations.
Un néophyte dans le domaine de la course à pied qui s’engage à courir dix kilomètres sans aucun entraînement préalable sera vite à bout de souffle. En revanche, un sportif entraîné, qu’il soit jeune ou plus âgé, trouvera immédiatement son rythme et parcourra la distance sans problème. Tout provient d’une habitude initiale et la méditation n’y échappe pas. Lorsque l’on prend l’avion, le décollage est toujours un point critique, mais une fois en vol, les difficultés disparaissent. La méditation fonctionne à l’identique.
La façon d’utiliser le support de la respiration consiste à ne pas trop conceptualiser, comme le fait de commenter sa méditation, et à ne pas se focaliser avec trop d’intensité. Il s’agit juste de rester sur la respiration et si l’esprit suit les idées, revenir à la respiration.
Mais nous ne devons jamais perdre de vue que la technique n’est qu’une technique, et que ces exercices n’ont qu’une seule finalité : permettre, à travers le maintien d’un état de vive conscience, que notre esprit se clarifie et qu’émerge notre potentiel de discernement.
Habituellement, quand on commence quelque chose de nouveau, on veut le faire absolument correctement, par peur que cela crée des problèmes dans le cas contraire. Cette attitude n’est pas nécessaire. Nous n’avons pas à nous inquiéter, mais au contraire, il nous faut laisser le processus se faire tout naturellement. Ainsi, on pourra méditer de plus en plus longtemps.
La présence est préservée dans la durée tout en étant actualisée d’instant en instant jusqu’à ce que nous soyons tout à fait détendus et à l’aise dans la méditation.